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 |  Sujet: Hey Jude, don't be afraid | P V Jude Callburry |  Lun Aoû 25, 2008 9:36 pm | |
| Coudes sur la table et menton niché au creux de ses mains, le regard cristallin de Gabriel était rivé sur un échiquier. Il ne se souvenait plus quand il avait appris à jouer. Sa vie n'était qu'une suite ininterrompue d'errances de foyer en foyer et d'hôpital en hôpital. Il avait déjà vu tellement de visages, joué à tellement de jeu. On lui avait fait faire des activités manuelles d'une simplicité enfantine, mais muré dans son silence, il n'en avait rien dit aux médecins qui l'observaient lui et d'autres malades attardés. Il aimait bien ce jeu. Il fallait être concentré sur ce qu'il se passait, ce qui pouvait se passer. Il fallait réfléchir à une stratégie tout en perçant celle de l'adversaire. Souvent, Gabriel imaginait les petites pièces aux formes arrondies s'animer. Le cavalier devenait un fier paladin sur son palefroi. La tour était un donjon imposant au toit pointu. Le fou s'avançait en sautillant. Les pions devenaient de minuscules fantassins qui brandissaient écu et épée. Quand au roi et à la reine, monolithiques, ils regardaient la bataille, décimant les troupes adverses tout en mettant à l'abri du Monarque. Lorsque Gabriel se retrouvait seul face à l'échiquier, il imaginait une foule de petites histoires mettant en scène les pièces. Il s'inspirait de ce qu'il avait vu ou lu ou encore entendu. Parfois, l'Autre Voix participait à ces jeux silencieux, prenant tour à tour une voix grave et profonde pour le roi adverse qui faisait peur à Gaby mais qu'il adorait.
Le joueur qui lui faisait face avait déjà fait de multiples erreurs. Les rangs de son armée étaient décimés et il lui restait peu de pièces. L'autre malade avança la main, prit sa tour et la fit avancer tout droit, l'arrêta sur une case puis poursuivit sa route en diagonale. Gabriel fronça les sourcils et leva les yeux sur son adversaire.
"J'espère que c'est une blague.
- La tour, elle a mangé tous tes pions! Ha-ha!
- Mais tu peux pas faire ça. C'est pas les règles!
- J'ai gagné-euh! j'ai gagné-euh!"
Gabriel se leva vivement, les yeux étincelants. Il n'était pas un mauvais perdant, loin de là. Mais les règles étaient très importantes. Il fallait obéir aux règles. C'était mal d'enfeindre les lois. Une tour ne se déplace pas n'importe comment. Et personne n'avait jamais gagné en jouant de la sorte.
Quelques infirmiers s'approchèrent discrètement de Gabriel et de l'autre malade qui s'éloignait en sautillant et en clamant sa joie à qui voulait l'entendre.
* C'est qu'un tricheur, Gaby...on n'aime pas les tricheurs, hein? Moi, je ne les aime pas.
- Moi aussi!
* Ce n'est pas grave. Laisse le partir sinon les infirmiers te feront mal. On so'ccuperas du sale tricheur une autre fois. Je te le promet.*
Gabriel restait debout, les bras ballants, la tête penchée sur un côté comme s'il écoutait attentivement quelque chose. Il opinait du chef de temps en temps et ses lèvres remuaient sans lâcher un seul son. Son regard avait retrouvé la naïveté qui lui était coutumière.
Avec d'infinies précautions, il commença à ranger les pièces de l'échiquier dans leur boîte. |
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